Inversion

    Partons sur un peu de géométrie. Soit un espace euclidien. Soit un point O de cet espace. La fonction qui transforme un point A différent de O en B tel que:
B est sur la demi-droite [OA)
-  la distance OB est égale à 1/OA
est une inversion. Voici un petit shéma en deux dimensions (le cercle est de rayon 1):

inversion géométrique

    Quelques propriétés:
- les points à l'extérieur cecle passent à l'intérieur et vice-versa. Les points du cercles restent inchangés ;
- plus un point est éloigné de O, plus sa transformée en est proche ;
- si le cercle est à l'intérieur d'une figure, il sera à l'extérieur de sa transformée ;
- si on applique deux fois la transformation, on retrouve la configuration d'origine.
    Voici un fractal de Mandelbrot (à gauche) et son inversion (à droite), avec au milieu la superposition des deux à l'échelle. Le cercle est entiètrement à l'intérieur de l'ensemble de Mandelbrot.

     

    Maintenant j'introduis une métaphore philosophique: le cercle est la tête d'un homme, l'intérieur est son esprit, l'extérieur est le monde extérieur. Ainsi, on peut shématiser aisément deux interprétations duales de l'interaction de l'individu avec le monde:
- l'interprétation humaniste: l'individu perçoit le monde et s'en crée une image dans son esprit. La transformation correspond à la perception. L'existence du monde est plus tangible et plus sûre que celle de l'individu ;
- l'interprétation égocentrique: le monde est comme l'image que je m'en fais dans mon esprit. La transformation est une projection. Je pense, donc j'existe. Le monde n'existe que dans la mesure où je le perçois.
    L'interprétation de bon sens, et probablement celle qui correspond le mieux à la réalité, combine les deux. Le monde existe, je le perçois, mais l'image que je m'en fais dans mon esprit est plus importante pour moi que le monde réel. En effet, je ne peux pas réfléchir sur la réalité, qui est hors de portée de mon esprit.
    Dans cette configuration, la projection correspond aux actes de l'individu. Quand il fait quelque chose, il imagine son mouvement dans son esprit, puis le projette dans le monde.

    Voilà, j'ai fait de la philosophie: des sophismes, des concepts approximatifs et sentimentaux, le tout saupoudré de maths pour faire sérieux. Pour échapper au sobriquet infâmant de philosophe, je vais jouer au mystique. Les philosophes ne font que vasouiller une terne et banale explication du monde, alors qu'un bon mystique évoque des esprits surnatrels et imagine des fantômes fameux ! L'ambition ultime d'un mystique est de devenir gourou de secte. Un mystique a une élocution plus lustrée qu'un pâle philosophe. Jugez-en:

    Vous errez dans la méandre, vous avez trop de partis, trop compliqués à prendre ? Laissez moi vous accompagner, et éclairer vos pas d'une chandelle. À l'instar de Cyrano, j'imaginai dix moyens d'expliquer le monde. Quelque pressé que vous soyez, oyez mon énumération !
    Le monde est sur le dos d'une tortue, et cette tortue repose sur une autre tortue, qui pèse sur une autre, et ainsi de suite. Le principe de récurrence ne s'applique pas chez les tortues, donc on n'a pas à chercher la base de l'édifice. Les âmes des morts volent en chuchottant des bribes de leur vie dans les oreilles des tortues. Ce qu'elles disent, elles l'oublient. Les âmes se consument quand elles ne savent plus rien. Les tortues savent tout.

  (avril 2000)