En fond de page, nous avons
une forme qui évoque, globalement , une spirale logarithmique. C'est
parce que nos yeux sont habitués à détecter les alignements
dans des formes qui n'en comportent pas forcément.
J'aimerais choquer ou provoquer
les gens par des images. Que devrais-je montrer ? Faudrait-il que j'évoque
le sexe ? sans doute. L'image d'un couple nu faisant l'amour devrait suffire
pour effrayer des Américains ou des Iraniens pudibonds. Ça
ne suffirait pas cependant pour des Français moyens. Ceux-ci seraient
certainement choqués par un petit enfant qui se fait violer par
un vieux monsieur. Pour la complétude du geste, sans augementer
sensiblement la taille de la population touchée, on pourait dérouler
toute la fantasmagorie sadienne. Une jeune vierge sodomisée par
un libertin et qui se fait couper les doigts, etc.
Ces images atteindraient sans
doute leur but choquant, mais elles seraient difficile à trouver,
et probablement illégales, pour une raison ou l'autre. À
la place de ces compositions cauchemardesques, mettons un matrin-pêcheur.
Revenons à nos ovins. À une journalise de TF1 qui lui demandait
comment on peut être provoquant (notez que provoquer
a une connotation moins péjorative que
choquer) Phillipe
Val proposa de faire un exposé d'une dizaine de minutes. Il exigea
de n'être pas interrompu ni recadré pendant ce temps. Ça
lui fut refusé: on ne peut pas s'exprimer sereinement sur les télévisions
populaires. Elle en est réduite pour émouvoir ses infidèles
spectateurs à utiliser des images sémantiquement proches
de celles décrites au paragraphe précedent.
On chercher à provoquer les gens pour égayer un peu la grisaille de leur quotidien. Dans notre société globalement satisfaite (sinon heureuse) de son sort, on en est réduit à s'occupper des méfaits ou des malheurs des autres pour se distraire. Qu'on montre au public des films simples et optimistes, et ils seront impitoyablement (quoique tacitement) interdits aux plus de 12 ans. Il n'y a que le parti communiste qui se complaise encore dans son angélisme manichéen. Une des requêtes les plus ridicules qu'on puisse faire à un provoquateur, c'est d'être constructif. Ce n'est ni dans ses attributions, ni dans ses capacités. La critique pure, comme celle que pratique le Canard enchaîné est légitime et utile socialement. Si elle n'indique pas ce qu'il faudrait faire, elle est une source précieuse de choses à ne pas faire. |
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J'ai souvent l'occasion de
voir une grande assemblée de gens passifs qui assistent à
un spectacle. En l'occurrence c'est une classe d'informaticiens apprentifs
qui suit des cours magistraux. Les spectateurs, en général,
ne portent pas à la scène tout l'interêt requis. Entre
autres raisons de cette inattention, celle qui nous importe est leur état
de fatigue. Souvent, ils se sont couchés tard pour des motifs qui
s'étalent entre l'alcool et le cinéma en passant par Quake.
La voix monotone de l'orateur, les râclements feutrés de la
craie et le brouhaha des conversations s'amalgament en un bruit paisible
et familier qui, avec la torpeur de l'après-midi, repose les étudiants
de toutes les tensions de leur vie.
Dans ces conditions, on a
tendence à oublier quelque peu les règles rigoureuses de
la politesse bourgeoise. Beaucoup posent un coude sur leur pupitre pour
soutenir leur tête lourde. Certains se couchent sans gêne sur
leurs bras croisés. On ne se permettrait rien de tel dans une église.
On étouffe un baillement en mettant sa main devant la bouche, sous
peine d'exposer avec impudeur ses plombages à l'assistance. On pose
un doigt au coin de l'oeuil pour chasser un cil importun. On redresse une
mèche de cheveux avec ses doigts. On presse un bouton d'acné
irritant. On gratte sa barbe de trois jours qui démange un peu.
Toutes ces caresses anodines ont un but utilitaire. Mais on peut en observer
d'autres qui, objectivement, ne servent à rien. On flatte ses joues
ou sa nuque de la main grande ouverte. On peigne profondément des
doigts ses cheveux. On se caresse les lèvres ou le menton des doigts
ou avec le derrière d'un stylo. On tire sur le lobe de ses oreilles.
On se livre à toutes sortes de jeux entre ses mains. Elles peuvent
s'emmêler de mille manières différentes, elles peuvent
se saisir, se tenir aux poignets, jouer avec un crayon.
Toutes ces chatteries sont
des gestes de tendresse qu'on a pour son corps. Les infimes massages et
frôlements montrent qu'on prend soin de sa peau et de sa viande,
qu'on en maintient le galbe et la douceur. Quelques instants d'observation
suffisent à montrer qu'il y a une grande variabilité dans
la fréquence et l'intensité de ces effleurements selon les
individus. Certaines personnes ne touchent jamais leur visage, comme s'il
était gravement brûlé. D'autres ne peuvent s'empècher
de vérifier plusieurs fois par minute si leur nez est bien
à sa place ou si la toute petite croûte de sang qu'ils ont
sur le coude n'est pas prête à être arrachée...
Cette attitude, un peu onanienne, peut-elle être considérée
comme une évaluation de la sensualité d'un individu?
Je ne pense pas, mais je vais
arrêter ici avant de rentrer dans des considérations trop
moites. C'est tabou de parler sérieusement de ces choses. Pour changer
de sujet, je vais exposer les difficultés qu'on trouve à
générer artificiellement de la complexité.
Pour produire ex-nihilo
un monde réaliste en images de synthèse on dispose de trois
générateurs de complexité:
- la combinaison de formes mathématiques
non-itératives, comme les polygones, tores, surfaces de Bézier,
etc ;
- les formes aléatoires qu'on utilise
surtout pour générer des reliefs ;
- les formes fractales pour les végétaux.
Voici un exemple pour chacun,
rendu avec POV:
Notons que le fractal présenté
est défini point par point dans l'espace 3D, il n'est donc pas du
même type que les fractales constructives qui ressemblent à
des arbres. On pourra faire judicieusement usage de la répétition
(quasi-) périodique des formes de base pour donner l'impression
de la complexité (principe des hypertextures).
Une scène intéressante
ne ressemble pas forcément à notre monde. Il faut simplement
que l'oeuil ne puisse pas y détecter de régularité
suspecte, tout en y trouvant des objets élaborés. Un spectateur
non averti doit avoir le plus possible de mal à la décrire.
Malheureusement, on souhaite aussi que le codeur passe le moins possible
de temps à la modéliser, c'est à dire à la
décrire...
Il y a une théorie
qui dit:
Soient deux langages L1 et L2
et un algorithme A.
La longueur du code de A en L1
est un grand O de la longueur du code de A en L2.
Appliquons la théorie
au problème qui nous occupe. Prenons comme lanages les formalismes
de description de scène, L1=celui du codeur, L2=celui
du spectateur, et A=la scène. Alors on peut prévoir
que le codeur travaillera, asymptotiquement, un temps proportionnel à
l'émerveillement qu'il veut suciter chez le spectateur. Il s'agit
donc de faire des logiciels qui aideront le modeleur à réduire
le coefficient de proportionnalité. En pratique, la plus grande
partie des données utilisées dans les images de synthèse
sont issues du monde réel par l'intermédiaire de scans, de
captures d'images ou de scans 3D. Est-il possible d'imaginer un monde complètement
indépendant du notre ? C'est le problème de Dieu et des rolistes.
Puisque j'en suis aux images
de synthèse, je vais en profiter pour présenter une métaphore
pour le temps.C'est une bande de papier sur lequel chaque carreau représente
une heure. On l'enroule en hélicoïde de période un jour.
Midi d'un jour est en regard avec midi du jour suivant. Puis on prend minutieusement
l'édifice et on le réenroule sui lui-même, avec pour
période un mois lunaire. Puis on recommence pour symboliser les
années. Cette expérience est probablement difficile à
mettre en oeuvre, donc on va plutôt faire une image avec POV:
Revenons à la complexité. La complexité est infiment aimable, car elle occupe notre esprit. Considérons par exemple un problème de mathématiques. S'il est trop simple, il donne une impression dégoûtante de fadeur. S'il est trop compliqué, quand on n'y comprend rien, ce n'est pas agréable non plus. Cependant on ne peut pas mettre ça sur le compte de sa complexité, car l'image qu'on en a dans notre cerveau est très simple, c'est je n'y comprends rien. Graphiquement, ça donne:
Quand on regarde cette image,
on ne dit pas c'est complexe mais c'est n'importe quoi. Des
mathématiques trop simples le sont irrémédiablement,
alors que si elles sont trop compliquées, elles ont une chance de
devenir un jour intéressantes pour nous. Il en va de même
pour la philosophie. La philosophie, c'est n'importe quoi.
Malheureusement pour un esprit
avide de complexité, la grande majorité des sujets se décrivent
facilement par des problématiques. C'est à dire qu'on
retrouve dans des champs complètement différents des comportements
identiques. On ne peut donc que réitérer les mêmes
observations dans chacun des champs. J'ai déjà mentionné
la problématique de la courbe en cloche, qui fait qu'on a
tendance à présumer des propriétes s'appliquant à
des individus en se basant sur l'appartenance à un groupe. Dans
tous les domaines d'application, du racisme à l'étude de
qualité des logiciels, cette tendance a les mêmes qualités
(réduction de la taille des données et du temps de saisie)
et les mêmes défauts (erreurs de jugement dans une minorité
de cas). Voici quelques exemples de problématiques:
- le compromis liberté/sécurité:
quelle quantité de liberté on peut accorder à un élément
sans créer de turbulences;
- l'entropie: beaucoup de mouvement tend
à uniformiser un ensemble d'éléments;
- la dualité: il est parfois plus
facile de travailler avec l'opposé/le complémentaire d'un
sujet;
- la partition: quelle degré de
fragmentation d'un système reste acceptable au vu des interactions
entre éléments;
- l'exploitation: dans quelle mesure on
peut contraindre un système pour qu'il soit productif sans s'abîmer;
- l'accoutumance: un système s'habitue
à une intervention et on doit en augmenter l'intensité pour
avoir le même effet.
Il vaut bien avoir en tête
un certain nombre de problématiques avec leurs observations et méthodes
associées. Quand on réfléchit à quelque chose,
il suffit ensuite d'identifier les problématiques impliquées.
On obtient ainsi une cascade de conclusions standardisées. Ce qui
reste après décantation est digne d'interêt.
Je vais changer de sujet,
celui-ci pue la philosophie.
Voici trois titres de livres, qui sont habilement choisis: Les fleurs du mal, Bonjour tristesse, l'Orange mécanique . On ne saurait assez s'appesantir sur la signification du titre d'un livre. Baudelaire résume toute la démarche des fleurs du mal dans cette dénomination. Il s'est plongé dans ce qui représentait le Mal pour en ramener la perverse beauté et l'offrir à son auditoire de bourgeois craintifs et fascinés. Françoise Sagan (notez combien on omet moins facilement son prénom chez une femme) a publié Bonjour tristesse à 19 ans, ce qui donne, je crois, un sens au titre. Ce bonjour s'adresse au monde adulte. Ni révolte ni désespoir exubérants contre lui, simplement un sentiment sourd de culpabilité et de honte amers. Voir la problématique du couple conscience/culpabilité. The clockwork orange de Burgess est moins célèbre que le film homonyme de Kubrik. La combinaison des mots qui compose le titre est surprenante et sans relation avec l'histoire. C'est le seul des trois que j'ai lu, et je le conseillerais si je croyais que les conseils de lecture avaient une valeur.
Il faudrait encore que je parle
de BD et de cinéma, mais je réprouve les collections, la
complétude, l'ordre, la terre ferme, les convictions et les sentiments,
quoique cette réprobation ne soit pas systématique. Je vais
évoquer des fantasmes sur le monde. Le monde est une grande fresque
avec moi («le moi» des psych*(logues|istes))
au premier plan, les autres hommes un peu en retrait, la Terre dans le
décor et le reste de l'univers étalé dans le ciel.
Voici un fantasme: le monde
est crée par un dieu pour s'amuser à nous observer. Voici
un autre fantasme: le monde n'existait pas hier, les gens se sont réveillés
ce matin tels quels, avec les souvenirs factices de ce qu'ils ont été
auparavant. Un fantasme égocentrique: je suis le seul être
réel et les autres gens ne sont là que pour m'occuper. Le
fantasme des physiciens: le monde a débuté au Big Bang
et tout ce qui se passe depuis est régi par des lois de nature mathématique.
S'il fallait en choisir un, en mon âme de scientifique, je sélectionnerais
le dernier car c'est le plus désespérément simple.
Ensuite, le mieux est de s'enivrer de fantasmes divers pour oublier la
matérialité des murs et la tivialité des trottoirs
embrennés.
Rapidement, que c'est-il passé depuis le début du dix-neuvième siècle ? pas grand-chose en somme: l'évolution de l'humanité poursuit son petit bonhomme de développement exponentiel. Ça serait sympa qu'il se passe quelque chose avant que je meure, comme par exemple la disparition de l'électricité (Barjavel, Ravage), ou une épidémie vraiment dangereuse qui tue 99% de l'humanité (Stephen King, ???), ou une apocalypse (???, La sainte bible), ou l'humanité remplacée par une race plus raisonnable (Houellebecq, Les particules élémentaires), ou l'humanité qui décide de régresser vers l'état de nature (il doit bien avoir un bouquin qui fait cette proposition).
Il me semble que je commence à généraliser et à shématiser un peu trop. Je vais arrêter, parce que c'est irréversible. (mars 2000)